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# Droit d'auteur : Google, CNRS, même combat !

Deux événements touchant au cœur du droit d'auteur en France


LIBÉRATION du 12 janvier 2014

LIBÉRATION du 12 janvier 2014

TRIBUNE

A quelques heures d'intervalle, deux événements touchant au cœur du droit d'auteur sont intervenus sans se télescoper dans les médias. Le 10 décembre 2013, la ministre de l'Economie numérique, Fleur Pellerin, se rendait à l'inauguration de «l'institut culturel» de Google en se livrant à un subtil numéro d'équilibriste ou billard diplomatique à deux bandes, comme on voudra. Si Google est, selon ses termes, un «acteur majeur de la transformation numérique de la France», il lui a aussi fallu rappeler fermement qu'il ne pouvait contourner ses lois, parmi lesquelles celles du droit d'auteur. Rappel si évident qu'Aurélie Filippetti n'avait pas souhaité «servir de caution» aux comportements du géant d'Internet. Le lendemain, la Cour de cassation confirmait par un arrêt de principe que le CNRS avait violé le droit d'auteur en se prévalant d'un accord avec le Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC).

Cet organisme, agréé par le ministère de la Culture, est chargé de la gestion collective du droit sur les photocopies. La filiale commerciale du CNRS a vendu ainsi à la pièce des dizaines de milliers de photocopies d'articles scientifiques ou techniques, parfois aussi sous forme de fichiers numériques, au prix fort, ceci des années durant en dépit de plusieurs condamnations judiciaires et de la dénonciation de ses pratiques par des centaines de chercheurs et publiants.

Le CFC avait entendu se passer de l'accord express et préalable des auteurs ou ayants droit pour autoriser des copies aux fins de vente en violation de la loi et de ses statuts. Après plus de cinq ans de procédure judiciaire, cette filiale commerciale fermait «jusqu'à nouvel ordre» tandis que le directeur général adjoint du CFC déplorait le caractère peu «opérationnel» de la décision.

Les magistrats n'avaient pourtant fait que rappeler le noyau dur du droit d'auteur français : la nécessité de recueillir l'autorisation préalable de l'auteur ou son ayant droit pour reproduire son œuvre, et certainement pas son refus a posteriori ou un silence qui vaudrait acceptation. C'est ici que cette entreprise de contrefaçon de masse au niveau étatique, demeurée longtemps dans l'ombre, rencontre les pratiques reprochées à Google, quant à elles portées de longue date sur la place publique, jusqu'à se confondre avec elles. Le moteur de recherche s'est donné pour mission d'«organiser toute l'information du monde pour la rendre accessible à tous». La filiale commerciale du CNRS se présentait pour sa part sous les atours d'un «guichet unique de fourniture de documents pour les utilisateurs à la recherche de copies de documents scientifiques et techniques».

Dans les deux cas, rien que de très louable, en apparence, si ce n'est le contournement des règles essentielles du droit d'auteur conduisant ces deux acteurs à ne prendre en considération que le refus a posteriori (opt-out) des auteurs et non leur accord préalable (opt-in), principe jugé de part et d'autre «non opérationnel», en d'autres termes, excessivement contraignant si ce n'est incompatible au regard des logiques économiques et commerciales à l'œuvre.

C'est précisément l'opt-out, permettant de signaler son opposition à la numérisation d'ouvrages par Google Books, qui était avancé en défense par le moteur lors du procès intenté aux Etats-Unis par la Authors Guild. Dès 2006, l'affaire Copiepresse avait conduit le tribunal de première instance de Bruxelles à rappeler à Google News que le droit d'auteur est fondé sur l'opt-in. Si la défense et la promotion de l'opt-out par Google n'est pas nouvelle, il est pour le moins stupéfiant de le voir désormais érigé en principe dans notre pays par les institutions investies de la protection du droit d'auteur, le CFC en première ligne.

Quant au directeur du CNRS, Raymond Bérard, il promet que «la priorité est désormais de se mettre totalement en conformité avec le droit. Cela signifie que les auteurs de la "zone grise" doivent rejoindre la liste d'exclusion». C'est ainsi que sont désignés les auteurs dont l'accord avait été ignoré et dont on promet de plus fort de prendre en considération le refus en les inscrivant sur une liste d'exclusion… et non de rechercher leur consentement.

Accord par défaut donc aux antipodes de la philosophie qui inspire notre droit et dont la légitimité apparaît plus fragile que jamais. Depuis l'origine, Internet porte la promesse d'un libre accès au savoir, à la connaissance mais aussi aux œuvres protégées qui rencontrent l'obstacle du droit d'auteur. Ses bénéficiaires doivent être les premiers à se convaincre, envers et contre les nouvelles politiques de la recherche, qu'il est de leur intérêt que ce droit ne soit pas contourné ni retourné en son contraire.

David FOREST Avocat